P. Martin: Les religions face aux épidémies

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Titel
Les religions face aux épidémies. De la peste à la Covid-19


Autor(en)
Martin, Philippe
Erschienen
Paris 2020: Éditions du CERF
Anzahl Seiten
288 S.
von
François Pierrard

Cet ouvrage aborde le sujet d’actualité principal depuis un ou deux ans: la crise sanitaire de la Covid-19. Plus précisément, il interroge l’approche que les «religions» ont eue des épidémies à travers l’histoire. Initié lors du premier confinement, ce livre ne bénéficie guère d’une recherche en archives (18). Son auteur, Philippe Martin, professeur à l’Université de Lyon II, montre que l’histoire des épidémies est aussi ancienne que celle des hommes. Peste de Justinien (541–750, 25–50 millions de morts), peste noire (1346–1353, 50–70 millions de morts), choléra, grippe espagnole (1918–1920, 50 millions), grippe de Hong Kong (1968–1969, 4 millions)…: avec 4 millions de morts, la Covid-19 est loin d’être la plus mortifère, comme le reconnaissent d’ailleurs ceux qui voudraient y voir le déclencheur du Great Reset (Klaus Schwab/Thierry Malleret, Covid-19: The Great Reset, Centerport 2020, 247).
Le premier chapitre de cet ouvrage évoque la question des origines épidémiques (23–62), qu’elles soient réelles ou imaginaires (superstitions, boucs-émissaires…). Il s’agit surtout de s’interroger sur l’interprétation dominante au cours du temps. La conception de l’épidémie comme punition divine ou appel à la conversion paraît être la plus répandue. On la trouve dès le XIVe siècle avant notre ère chez les Thébains (25), jusqu’à nos jours chez près de deux tiers des Américains croyants (51), elle est partagée tant par des catholiques (31–33 et 39–41 et 44), des protestants (33–36 et 41–42) que des musulmans (52–53), même parmi les médecins (35–38), bien qu’elle tende à reculer à partir du XVIIIe siècle, tandis que la notion de contagion se développe (38–39 et 42).
Le second chapitre traite de l’attitude des représentants religieux face aux épidémies (63–100). Si les fuites sont une réalité (65–66), des religieux se destinent au dévouement auprès des pestiférés, comme les capucins (80–81), certains devenant médecins (67–75). Mais le rôle du prêtre est avant tout de continuer son ministère, en faisant preuve de courage et d’ingéniosité. L’exemple de saint Charles Borromée (1538–1584), évêque de Milan, lors de la peste de 1576 est topique: il s’assure que tous les fidèles puissent assister à la Messe chaque jour, fait administrer et administre lui-même les sacrements aux pestiférés, tout en organisant des Messes en plein air pour éviter la contagion, renforçant même les mesures sanitaires prises par le gouverneur de Milan (76–78).
Le troisième chapitre aborde les relations entre «Églises et États» (101–134). Si le clergé respecte généralement les mesures sanitaires, les devançant même à l’occasion, il peut s’y opposer lorsque cellesci portent atteinte au salut des âmes. Cependant, jusqu’au XIXe siècle, les restrictions religieuses imposées par les pouvoirs publics sont peu importantes (109). Elles apparaissent en France lors de la grippe espagnole (1918–1920), attirant protestations ou désobéissances passives d’une partie du clergé (109). Elles ne se généralisent qu’avec l’actuelle pandémie (encore qu’avec de notables exceptions), provoquant soumissions ou résistances au sein de différentes confessions religieuses un peu partout dans le monde (113–132).
Le quatrième chapitre montre que les épidémies ont souvent été l’occasion d’un sursaut de ferveur religieuse collective (135–184). Elles suscitent l’instauration de nouveaux rituels comme la Messe pour la peste (137–138), de nouvelles dévotions comme celle de saints protecteurs (139–142 et 148), etc. Les cérémonies religieuses sont éventuellement adaptées (Messes en plein air, mesures barrières...), mais elles sont intensifiées plutôt que confinées (143–144 et 153), augmentées parfois de processions (149, 152–153 et 156–157), jusqu’à l’actuelle crise sanitaire, dont la «principale nouveauté a été de mettre à l’arrêt, ou essayer de le faire, pour plusieurs semaines des pans entiers de l’expérience religieuse» (183), bien que pas partout dans le monde (160–161).
Le cinquième chapitre insiste davantage sur la dimension individuelle des dévotions instaurées en temps d’épidémies (185–217). De nouvelles prières sont rédigées. Auparavant, elles reconnaissaient souvent implicitement le caractère punitif des épidémies infligées par Dieu pour les péchés des hommes (187–195). De nos jours, elles ont parfois une portée mondiale (213–214). Les guérisons concernent une minorité des miracles répertoriés aux Temps modernes (195–197). À côté des saints thaumaturges universellement invoqués comme saint Sébastien et saint Roch contre la peste et le choléra (198–206) mais dans une moindre mesure contre la Covid-19 (206–207), quelques autres sont implorés épisodiquement et localement (197–198).
Le sixième chapitre s’intéresse aux superstitions et magies (219–252). Le concept même de superstition naît au XVIe siècle. Pour autant, on trouve déjà des excommunications de distributeurs d’amulettes au Moyen-âge (227). L’offensive est néan-moins plus organisée aux Temps modernes. L’Inquisition espagnole condamne tant les pratiques superstitieuses qu’ambigües (230–232), alors même que des médecins sont moins catégoriques (228 et 230). Les superstitions ne disparaissent pas. Ainsi, au XIXe siècle des européens font revivre d’anciennes superstitions pendant que des anthropologues s’intéressent à celles d’autres continents, tandis que de nos jours quelques youtubeurs épiloguent sur le chiffre 19 accolé au mot Covid (232–240).
Le septième chapitre porte sur la fin des épidémies, en même temps qu’il conclut le livre (253–274). Lorsqu’une épidémie recule, «le premier réflexe est de remercier Dieu et de se souvenir» (255). Les deux peuvent être liés: les ex-voto et la construction de croix et de chapelles étaient actions de grâce, ils sont maintenant mémoires des guérisons et cessations d’épidémies (255 et 259–263). Mais les deux peuvent également être dissociés: l’action de grâce est l’occasion de fêtes (Messes solennelles, pèlerinages, Te Deum…) qui ne laissent pas forcément de traces, tandis que des monuments (colonnes de la peste…) gardent le souvenir d’épidémies passées (258–259). Certaines épidémies ne génèrent pas ou peu de mémoire, comme le montre le cas de la grippe espagnole (270).
En définitive, cet ouvrage apporte une réponse historique aux questionnements religieux que soulève la Covid-19, contribuant à discerner les continuités et différences avec les autres épidémies. Écrit pendant le premier confinement, cet ouvrage s’adresse au grand public. Ce faisant, il ne rencontre pas toutes les exigences scientifiques. On peut regretter l’absence de limites temporelles et surtout géographiques précises. L’ouvrage semble être construit sur le postulat critiquable selon lequel les divergences d’attitude par rapport au phénomène épidémique se situent uniquement au sein des «religions», non entre elles. Les fautes orthographiques ou autres ne manquent pas (98, 132, 177, 194, 198…). Néanmoins, cet ouvrage a le mérite de renouveler un objet d’étude historique peu étudié.

Zitierweise:
Pierrard, François: Rezension zu: Martin, Philippe: Les religions face aux épidémies. De la peste à la Covid-19, Paris 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 115, 2021, S. 482-483. Online: <https://doi.org/10.24894/2673-3641.00100>